Published by HRMblogs, on 05/03/2022
Par Bertrand Duperrin (Head of People and Business Delivery Emakina FR.)
En fonction de qui on écoute la culture d’entreprise sera soit la grande gagnante soit la grande perdante de la sortie de pandémie, le jour où elle arrivera. Il est vrai qu’elle a joué un grand rôle dans la capacité des entreprises à passer au travers de cette période trouble mais risque également d’en ressortir en piteux état.
En fait il en est de la culture d’entreprise comme du télétravail : salariés et entreprises y accordent la plus grande importance mais pas pour les mêmes raisons. Et parfois sans parler de la même chose.
La culture d’entreprise a joué un grand rôle pour éviter le délitement du collectif pendant la pandémie et notamment pendant les phases de confinement et de télétravail. Si les entreprises ont du jour au lendemain s’organiser et opérer différemment elle n’y est pas pour rien.
Enfin, tout dépend de quelle culture on parle. Dans les entreprises (et il en existe plus qu’on ne le pense) dont la culture est davantage fondée sur le contrôle et ne laisse pas ou peu d’autonomie au collaborateur cela a été plus difficile.
Aujourd’hui lorsque les entreprise se projettent sur une situation un peu plus normale, et notamment quand on parle du retour au bureau voir du futur du lieu de travail la culture tient une grande place dans leur discours. Pourquoi ?
Parce que si elle a joué son rôle à distance, elle aurait besoin pour exister et se diffuser (notez l’emploi du conditionnel) que les gens passent du temps ensemble, au même endroit.
Un argument qui vaut aussi bien pour les entreprises pour qui le télétravail forcé s’est relativement bien passé que pour les autres.
Effectivement il n’est pas illogique de penser, pour les unes, que pour que la culture d’entreprise fonctionne à distance elle doit se créer au bureau.
Et il n’est pas plus illogique pour les autres de penser que si les choses se sont mal passées c’est justement parce distance et culture font mauvais ménage.
Ce qui pose une vraie question sur laquelle personne ne s’accorde. S’il vaut revenir au bureau pour entretenir la culture d’entreprise, de quelle culture parle-t-on ?
• De celle qui a permis à certaines entreprises de mieux s’en sortir que d’autres ?
• De celle qui en a fait échouer d’autres mais, tant pis, comme on ne veut pas changer ça on n’ira pas vers le travail hybride ?
• D’une version évoluée de la culture d’entreprise « pré-covid » compatible avec les formes de travail à venir car « notre culture d’avant n’est pas totalement soluble dans le monde de demain » ?
• De la vraie culture d’entreprise, celle qu’ont vécu et développé les salariés pendant cette épreuve ?
Quand on parle de culture d’entreprise il y a souvent un écart important entre ce que les entreprises disent qu’elle est et ce qu’en perçoivent les collaborateurs.
La vérité est que la culture d’entreprise, la vraie, est ce que vivent les collaborateurs. Et s’ils vivent autre chose que ce qui est écrit dans la communication officielle ça n’est pas de leur faute. Il y a beaucoup de raisons qui expliquent qu’entre la théorie de la direction et la pratique du terrain la culture d’entreprise se soit égarée en route mais en parler mérite un article à lui seul. Par contre il est intéressant d’observer ce qui peut se passer quand l’écart devient trop important.
Si la culture d’entreprise ne se matérialise pas assez au goût des salariés où si elle ne leur convient pas on peut peut voir émerger des îlots de contre culture dans lesquels, à une échelle plus ou moins importante, les salariés se créent leur propre culture. Ou, pour être plus précis, une contre culture émerge de la volonté des salariés de se serrer les coudes au quotidien, de vivre entre eux une expérience meilleure que celle que leur fait vivre leur entreprise et leur management. C’est souvent le cas dans les entreprises qui ont une culture d’exigence qui peut confiner à une certaine forme de violence, celles où elle est dévoyée par le management intermédiaire où celles où étant peu ou pas incarnée, la nature ayant horreur de vide, quelque chose se crée spontanément sur le terrain.
Car, encore une fois, ne l’oublions pas : la culture d’entreprise ne se décrète pas mais est la résultante de ce qui se vit au quotidien. Elle se constate. D’où, parfois, un décalage entre ce que les dirigeants pensent qu’elle est, ce qui est incarné localement ou globalement par les managers et ce que les salariés vivent ou essaient de faire naitre à leur niveau.
Le jour où tout reviendra à la normale les entreprises se rendront compte que leurs salariés ont changé. Que le collaborateur post-covid sera plus intraitable sur ce qu’il attend de l’entreprise. Mais elles découvriront également parfois qu’une nouvelle culture s’est mise en place.
Confinés, isolés, éloignés, avec un manager parfois aux abonnés absent ou dépassé par les évènements, si finalement l’entreprise a continué à fonctionner et parfois pas si mal que ça c’est souvent qu’il s’est passé quelque chose au niveau des salariés qui se sont montrés solidaires et débrouillé à leur niveau, avec les moyens du bord.
Croire que tout cela va disparaitre d’un coup de baguette magique est une illusion. Si la culture d’entreprise c’est ce qu’on vit au travail avec les autres, le moins que l’on puisse dire est que les salariés ont vécu quelque chose de fort ! Et parfois sans ou à l’insu de leurs managers. Et comme une équipe de sport qui revient d’une campagne victorieuse en coupe du monde, ils ont gagné leur trophée et ont créé ensemble une histoire qui est la leur et que personne ne pourra leur enlever.
Une culture et les pratiques qu’elle entraine sont nées et on ne pourra pas faire machine arrière.
Ce qui est, ceci dit, une excellente chose. Car ce qui a émergé est souvent fait de solidarité et de « care ». Cela a parfois donné vie à des intentions qui n’étaient pas matérialisées auparavant. Ou dans d’autres cas cela a permis de contrebalancer une culture toxique qui aura le plus grand mal à reprendre pied dans l’avenir. Cela ne peut que rassurer les dirigeants.
Mais cela va poser deux problèmes.
Le premier est que cette culture « spontanée » n’est pas sous le contrôle de l’entreprise qui n’a ne plus souvent rien fait pour qu’elle arrive. Et elle peut donc continuer à muter sans contrôle, ce qui en inquiètera certain.
Le second est que certains managers qui dévoyaient la culture d’entreprise vont trouver une résistance organisée.
Les entreprises vont donc devoir opérer la synthèse entre :
Cela ne serait pas si difficile en soi si, avant la pandémie, n’existait pas parfois un fossé entre la culture désirée, projetée par le discours officiel et la culture réelle qui s’exprimait sur le terrain. Sans même parler des valeurs d’entreprise, autre sujet pas si éloigné qu’il faudra également passer au « crash test post pandémique ».
Alors oui quelque chose de nouveau émergera de tout cela. Mais croire qu’il viendra uniquement d’en haut serait une erreur tout comme penser que cela ne peut se construire qu’autour de la présence au bureau.
(Cet article est paru initialement sur duperrin.com)
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